Le sculpteur et plasticien valaisan Jonas Wyssen utilise régulièrement, depuis plusieurs années, l’intelligence artificielle dans une partie de son travail. Travaillant à l’intersection entre la nature et la technologie, l’artiste explore les possibilités offertes par l’IA générative tout en questionnant profondément ce qu’elle signifie pour la création artistique contemporaine. L’essentiel est de ne pas se perdre dans les méandres des nombreuses possibilités offertes par l’IA et de garder la main sur le processus créatif.
« J’ai découvert Stable Diffusion et Midjourney en early access en 2022 déjà. J’ai été épaté », confie Jonas Wyssen. Cette fascination initiale l’a conduit à explorer les possibilités créatives de ces technologies, tout en gardant un regard critique sur leur impact.
L’artiste établit un parallèle historique entre l’arrivée de l’IA et celle de l’appareil photo compact. « Imaginez le photographe d’il y a 100 ans qui appuie sur un bouton et constate que la machine fait le travail ». Chaque innovation technologique bouscule les paradigmes établis et force les créateurs à se réinventer. « Aujourd’hui, il est difficile de créer des images qui touchent les gens, surtout que tout le monde a un appareil dans la poche ».
Pourtant, le phénomène actuel de la machine qui peut créer n’est pas fondamentalement nouveau. Jean Tinguely avait déjà réalisé des machines mécaniques qui dessinaient. La délégation du geste artistique à la machine n’est donc pas née avec l’intelligence artificielle. Toutefois, l’échelle et la rapidité de l’IA générative posent de nouveaux défis. « C’est tellement rapide de créer avec l’IA que parfois on oublie ce que l’on fait. Potentiellement, on se perd dans les outils, si bien que c’est la machine qui prend le pouvoir sur le processus créatif. Il faut faire attention », selon Jonas Wyssen.
Une méthodologie personnelle de création avec l'IA
Malgré ces réserves, l’artiste suisse a développé une approche méthodique pour intégrer l’IA dans sa pratique artistique. « Je produis 40 à 50 images avec l’IA, puis je sélectionne les 3 meilleures avant de les retravailler avec Photoshop ou d’autres outils ».
L’artiste a également exploré le dialogue avec différents modèles d’IA, évoquant notamment son expérience avec le robot Da Vinci, un système développé par Mathema à Florence. Jonas Wyssen a demandé à cette intelligence artificielle, qui a été nourrie avec les œuvres de Léonard de Vinci, de lui faire un autoportrait de l’intelligence artificielle. « Histoire de pouvoir regarder l’IA dans les yeux », précise l’artiste. Le résultat est troublant : un visage à peine humain, figé dans un demi-sourire énigmatique qui rappelle Mona Lisa — mais avec cette étrangeté propre aux images générées, qui déstabilise autant qu’elle fascine.
Jonas Wyssen s’est aussi essayé à faire une œuvre inspirée de l’Impression Soleil Levant de Claude Monet. « C’est très différent de l’original de Monet, mais on voit que cela en a été inspiré ». Cette expérience soulève immédiatement la question cruciale des droits d’auteur : « Qui l’a vraiment réalisée ? Il s’agit a priori d’une co-création, à l’image d’un designer qui utilise une police d’écriture créée par un autre pour ses travaux ».






L’IA fait sa place… et se vend
De manière générale, Jonas Wyssen suggère une redéfinition du rôle de l’artiste qui, plutôt que d’être menacé par la technologie, évolue vers celui d’un directeur artistique ou d’un curateur d’idées, orientant et sélectionnant les propositions générées par la machine. Dans ce contexte, la puissance des outils constitue un défi pour l’artiste, qui doit maintenir sa vision créative face à la prolifération des options offertes par la machine.
Si Jonas Wyssen n’est ni technophobe ni enthousiaste aveugle face à l’IA, c’est peut-être parce qu’il garde à l’esprit l’essence même de la démarche artistique. « L’art, c’est avant tout toucher les gens. Et avec l’IA, malgré sa puissance technique, il est difficile de créer quelque chose de marquant ». Pourtant, un portrait d’Alan Turing réalisé par une intelligence artificielle a été adjugé pour 1,08 million de dollars chez Christie’s. C’est une preuve de l’importance croissante des technologies et de leur intérêt dans le domaine de l’art.
Propos recueillis le 13 mai 2025 à Monthey lors de la Conférence PRISM